LES MONTAGNES SERBES

OD SRPSKIH PLANINA

Pasa, son histoire

J’ai finalement trouvé ce que je vous avais promis: les photos et les renseignements concernant le Sarplaninac dont je vous avais parlé. Cependant lorsque j’ai retrouvé les photos dans l’album familial, chez maman, j’ai été choquée ! Ce « grand chien » qui était resté comme tel dans ma mémoire, était en fait selon les critères d’aujourd’hui, un chien au-dessus de la moyenne, mais pas énorme. J’étais complètement bouleversée, car dans mes yeux et sous l’influence des histoires le concernant, il avait grandi, et je me suis sentie drôle quand j’ai vu ces vielles photos, après autant d’années. J’ai perdu l’envie de vous les envoyer, et je me suis sentie mal à l’aise, mais après un certain temps je me suis dit que la réalité était telle et que ce serait tout de même une histoire intéressante pour vous.
En réalité, je n’ai trouvé que deux photos.

Sur une, Pasa grimpé sur sa cabane, sur l’autre, il est avec ma cousine, qui est un peu plus petite que moi. Sur la photo où Pasa est sur sa cabane figure la date : novembre 1968 et ma famille m'a dit qu’il était alors très jeune. Le fait est qu’il ne ressemble pas aux Sarplaninci d'aujourd'hui et qu’il est presque laid et pas harmonieux, mais mon oncle qui l’a élevé au Kosovo m'a dit qu’ils étaient comme cela à l’époque dans cette région. Mon oncle était alors officier dans la région de Pristina. Il allait à la chasse et connaissait tous les villages et montagnes à la frontière albanaise. Il était alors fasciné par ces chiens et ainsi il a reçu
ce chiot en cadeau d’un Goranac . Je l’ai interrogé pour avoir plus de détails. Son histoire est à peu près la suivante :
« L’origine du Sarplaninac est la partie ouest de la Montagne Sara et le long de la frontière albanaise, région habitée par les Goranci (Serbes et Macédoniens de religion islamique) et les villages du côté albanais. Du côté serbe, ce sont les villages suivants: Orcusa, Brod, Restelica et Vraniste. Il m'a dit que c'était des chiens « bric », des chiens à poil court très dense, hauts sur pattes, avec un masque noir sur le museau, de la couleur du loup sur une base blanche ou jaune, plus rarement bringés ou multicolores, avec instinctivement un caractère de gardien pacifique en dehors de la zone qu’ils gardaient. Ils déterminaient seuls leurs zones et étaient très attentifs et quand ils suivaient un homme, les yeux fusillaient à gauche et à droite, ils n'étaient pas calmes comme les Bergers du Caucase, qui ne démontre pas une telle vigilance vis-à-vis de l’entourage. » C’est l’opinion personnelle de mon oncle qui n’est pas un cynologue averti et qui ne s’est jamais intéressé à cette problématique. Il dit que Sarplaninci modernes sont plus grands, plus massifs, mais moins vifs que les Sarplaninci originels qui sont plus légers, plus hauts et très agiles. Il dit aussi que les paysans élevaient ces chiens avec beaucoup d’attention, qu’ils en faisaient la sélection et l’échange, et qu’en hiver ils gardaient leurs chiots à l’intérieur de la maison avec leurs enfants. Ils discutaient de l’élevage et qui va prendre quel chiot. Il avait un excellent contact avec ces gens et il admirait ce savoir-faire, de ce rapport avec les chiens si différent dans nos contrées. L’armée utilisait le Sarplaninac pour garder les frontières contre les passages clandestins sur notre territoire, alors que le Berger Allemand servait pour poursuivre les fugitifs. Quand ils gardent le troupeau, les Sarplaninci se mettent à une distance égale l’un de l’autre et ils sont couchés. Ils ne font pas attention à des personnes qui avancent loin du troupeau, mais si vous vous dirigez vers les moutons, le chien le plus proche se lève et part à la rencontre. Il dit qu’il aimait expérimenter cela et quand il s’arrêtait, le chien se rasseyait et regardait. Ils ne gardaient pas le troupeau seulement contre les malveillants, mais également quand ils sentaient venir une intempérie, les chiens se mettaient à aboyer et à rabattre le troupeau vers un abri. Il m’a aussi raconté une laide histoire, mais en même temps caractéristique dans le sens qu’elle montre le rapport de ces gens envers leurs Sarplaninci. Au cours d’un retour infructueux d'une chasse aux chamois, non loin du village d'Orcusa, ils ont rencontré un grand troupeau d’environ 22 moutons sans berger qui était gardé par 3 chiens. Mon oncle était allé chasser avec un général qui occupait un poste très important. Ce général était plus proche du troupeau, à environ 200m et le chien le plus grand l’observait assis. Le général s’approchait de plus en plus et le chien est parti à sa rencontre tranquillement en grognant. Le général a réagit nerveusement, mécontent de la chasse, peut être même par caprice et non de peur, il a tiré et tué le chien. Les autres chiens ont aboyé, mais comme il s’était éloigné, ils n’ont pas démarré. Mon oncle lui a demandé la raison de son geste et il lui a rétorqué que le chien l’avait attaqué.
15 jours plus tard, mon oncle qui avait le grade de colonel, a été convoqué par le responsable de SUP de Prizren pour lui dire qu’une plainte avait été déposée contre le général, par le propriétaire du chien tué. Compte tenu de la place que le général occupait, c’était un problème grave et il fallait arranger les choses à l’amiable pour éviter le scandale. Quand mon oncle a mis le général au courant de l’affaire, celui-ci s’est senti très mal à l’aise. Il semblait qu’il regrettait son acte et le fait de devoir paraître au tribunal et faire connaître l’affaire en publique, était une catastrophe. Il a proposé de l'argent au propriétaire du chien, pour que celui-ci retire sa plainte. Le chef a essayé de négocier avec le berger, mais le lendemain il s’est manifesté pour lui dire que ce dernier était très fâché et qu'il avait demandé comment on pouvait lui proposer de l’argent, alors que rien ne pouvait compenser la perte de son chien. Il lui a tué un membre de la famille. S’il avait tué un bœuf, il n’aurait rien dit, mais il lui avait tué son meilleur chien, en prétendant qu'il l’avait agressé, car s’il s’était arrêté et éloigné, le chien ne l’aurait jamais touché. Le problème devenait de plus en plus aigu. Le chef du SUP qui jouissait d’une grande estime de la population locale a réussi avec beaucoup de peine à persuader le général d’avoir un entretien avec le propriétaire du chien dans le bureau de mon oncle. Le berger s’est amené avec manifestement l’intention de lui dire beaucoup de choses en face. Il a dit à mon oncle «Camarade Colonel, il doit répondre de son acte, car il n’y a pas d’argent qui pourra compenser cette perte. » Quand l’accusé, déjà accablé par la situation est entré dans le bureau et qu’il a rencontré le berger, il a simplement exprimé ses condoléances et dit : "Je suis coupable, pas seulement vis-à-vis de toi, mais envers moi-même également, comment pourrais-je me faire pardonner ? » Il a proposé de l’argent, ce qui évidemment fut refusé. Le propriétaire du chien a alors demandé un temps de réflexion et il fit savoir le lendemain qu’il retirait sa plainte, car il lui semblait que le général était quand même un brave homme et qu’il semblait regretter son acte. Il n’accepta jamais de récompense. Mon oncle a souhaité faire venir un tel chien à Lika natale. Ce n’était pas très intelligent, car là-bas le rapport vis-à-vis des chiens n’était pas le même. Pasa, le chien qu’il s’est procuré, n’était pas correctement traité et utilisé. En tout cas, de par son caractère et son comportement, il a laissé une grande impression, sans aucune exagération, sur tout le village et les environs. Il a eu ce chien d’un homme de Brod. Quand il le prit, il le garda quelques jours à Pristina. Mon oncle se souvient qu’il avait une fois, en marchant déposé son veston et qu’il s'était dirigé vers une source, le chiot de deux mois s’est alors couché à côté du vêtement et est resté le garder jusqu’à son retour. Le chien a été envoyé à Lika par train, comme colis postal, dans une cage, chez un autre oncle. Il a été bien nourri dans le village, mais il n’était pas très gros. Il a été tenu comme chien ordinaire du village, il ne gardait pas les moutons et tout le monde en avait peur. Le jour il était enchaîné, la nuit, on le lâchait et bien souvent il partait très loin, jusqu’aux villages voisins. Il ne s’effaçait devant personne et dans le passage tracé dans la neige, c’était les gens qui sautaient dans la neige profonde et lui passait devant comme un tsar. Il ne jouait jamais, et les autres chiens aboyaient sur lui quand il passait au-dessous des maisons, tout comme ils le faisaient sur les loups, dans un spasme comme s’ils s’étranglaient. Une fois il a même sorti de la cour tout l’outillage, les bottes et même la brouette que les cantonniers avaient laissé à l'abri, jusque dans la rue, car cela n’appartenait pas à la maison. Il n’aimait pas quelques personnes du village, celles dont on savait qu’elles avaient les « doigts longs ». Une fois, une de ces personnes parlant avec ma tante avait posé sa main sur son épaule, le chien a alors sauté momentanément, et la chaîne s’est rompue, la personne fut sauvée de justesse. Il était très intéressant de constater que bien qu’il n’aille pas garder les moutons (on ne le laissait même pas les approcher, car on redoutait qu’il les attaque) il connaissait ses moutons. Quand ils furent vendu dans un autre village à 20km, il a tout simplement disparu pendant plusieurs jours et quand il est revenu, nous avons appris qu’il avait retrouvé les moutons vendus et qu’il était resté près d’eux pendant ces quelques jours. Il les accompagnait paître et il dormait près de la bergerie. Les gens qui ont acheté les moutons ont compris de quoi il retournait et l’ont nourri. A un moment donné il a compris que le troupeau ne lui appartenait plus et il est revenu. Pasa a été abattu par le garde-champêtre qui soit disant l’avait pris pour un loup. Arraché de son milieu naturel, sans compréhension de sa nature, il avait été obligé de vivre en désaccord avec l’entourage et condamné à une fin tragique.